EVENOU Francis
Francis Evenou est né Pleguien (Côtes d’Armor) le 4
mai 1892.
Il fit ses études maritimes au cours d’Hydrographie
de St Brieuc. Il est reçu élève de la Marine Marchande en 1911 et Capitaine au
long cours en 1917.
Il débute à la voile en qualité de mousse sur le
4-mâts ANTONIN, avec le Capitaine Bourgain du 15 octobre 1907 au 12 juin 1908 :
voyage d’Angleterre au Chili et retour à Dunkerque. C’est au cours de ce voyage
que l’ANTONIN navigue dans les glaces pendant près de 40 heures, et rencontra
42 icebergs.
Notre ami Evenou repart sur ANTONIN, comme novice
avec le Capitaine Gascon : Dunkerque, Angleterre, Chili, Anvers, du 17 juin
1908 au 9 mars 1909 et repart toujours sur le même navire avec le même
capitaine pour un voyage du Chili, du 10 mars 1909 au 14 septembre 1909.
Notre camarade pour ses débuts, a déjà 3 passages du
Horn, cap à l’Ouest.
Il débarque pour aller au Cours.
Le 27 juin 1911, reçu élève de la Marine Marchande,
il embarque comme premier lieutenant sur la MARIE MOLINOS, capitaine Gaullo. Au
cours de ce voyage qui dure jusqu’en mai 1913, le passage du cap Horn est
particulièrement dur. Avec son appareil à gouverner cassé, et diverses avaries,
le capitaine décide de relâcher à Montevideo et après réparations continue sur
Newcastle (Australie ), le Chili et retour à Liverpool.
Pris par le Service Militaire, le 13 octobre 1913,
Evenou est au cours d’élève officier de réserve à bord du croiseur DUPETIT
THOUARS quand la guerre éclate. Nommé second-maître élève officier de réserve
en octobre 1914, puis Enseigne de 2e classe, en octobre 1915, il
navigue sur le croiseur MARSEILLAISE et des patrouilleurs. Il est nommé
Enseigne de vaisseau de 1ère classe en juin 1917 et commande de juin 1917 à
décembre 1918, le patrouilleur GABRIELLA.
Au cours de la guerre de 1914-1918 notre camarade
reçoit 4 témoignages de satisfaction, pour l’extinction d’un incendie sur un
voilier, le sauvetage des navires torpillés RANCE, MATTEO RENATE AMBRIONI qu’il
prend en remorque, LIBERIA, MADEIRA et se bat au canon contre un sous-marin
allemand. Son équipage reçoit des primes de la Cie Générale Transatlantique
(Rance) et de la Cie Fabre (Liberia).
Après la guerre 1914- 1918, Evenou commande aux
Affréteurs Réunis de janvier 1919 à décembre 1922, le MARECHAL FOCH, BELLONE,
EDOUARD SHAKI, BACCHUS et à la Cie des Affréteurs Réunis Français, le SIS FLORE
de juillet 1924 à août 1926.
Après avoir occupé les fonctions de sous-chef
d’armement à la Cie Worms de 1926 à 1927, notre ami entre à la Compagnie
Auxiliaire de Navigation où il commande successivement les pétroliers MONIQUE,
NAUSICA, MEROPE, MELPOMENE, ROXANE et SHEHERAZADE de 1927 à 1943.
Quand la guerre de 1939-1945 éclate, il commande
ROXANE, puis SHEHERAZADE. Il est mobilisé à Casablanca le 23 mars 1943 et démobilisé
à Paris le 16 août 1945 et nommé lieutenant de vaisseau honoraire.
Distinctions honorifiques :
Officier de la Légion d’Honneur à titre militaire le
14 juillet 1950.
Médaille d’or de la Société Centrale de Sauvetage
des Naufragés.
Chevalier de l’ordre de la Couronne d’Italie
Croix du Mérite Serbe.
Médaille d’Orient
Lieutenant de Vaisseau de Réserve en 1926.Honoraire
le 16 août 1945.
Officier du Mérite Maritime en janvier 1954.
Son éloge funèbre prononcé par monsieur le Maire de
Plouha, Côtes d’Armor.
Né le 4 mai 1892 à Pleguien, commune voisine de
Plouha, c’est la Marine Marchande qui l’attira dès son jeune âge. C’est ainsi
qu’il débuta comme mousse en 1907, alors qu’il avait seulement 15 ans, à bord
du 4-mâts ANTONIN sur lequel il passa plusieurs fois le cap Horn. Beaucoup
d’entre nous se souviennent du récit qu’il fit lors d’une émission télévisée,
il y a une dizaine d’années.
Ses premières armes terminées dans des conditions
très dures, il poursuivit ses études à l’Ecole d’Hydrographie de St Brieuc. Il
en sortit comme lieutenant puis embarqua avec ce grade sur le 3-mâts MOLINOS.
Son service militaire, il l’accomplit dans la Marine
Nationale comme Enseigne de Vaisseau. Ce service n’était pas terminé et ce fut
la guerre 14-18 au cours de laquelle il commanda une section de la 9ème
escadrille de patrouille en Mer du Nord et en Méditerranée. Au cours de ce
commandement, il participa au sauvetage de 500 naufragés sous le feu de
l’ennemi. Ce fait de guerre lui valut d’être décoré à la Sorbonne de la
Médaille d’Or de la Société Nationale de Sauvetage.
Il fut à nouveau mobilisé en 1939 avec le grade de
lieutenant de vaisseau, ne rejoignant la France qu’en 1945.
Il reprit aussitôt la navigation à la Cie OXYNAVI
qu’il a ensuite quittée après 25 années de commandement. Pendant cette période,
il eut l’honneur de commander le plus gros pétrolier de l’époque, le
"SCHEHERAZADE.
Après sa mise à la retraite, il ne resta pas inactif
et pendant encore quelques années, il exerça les fonctions d’Inspecteur Principal
dans une société d’Assurance parisienne.
Puis il se retira définitivement dans cette coquette
mais très simple demeure de la rue du Bois du Chat que madame Evenou et
lui-même avaient aménagée avec beaucoup de goût, pour leurs vieux jours. Mais
cette retraite amplement méritée, monsieur Evenou va la consacrer au service de
la collectivité et au sein de plusieurs œuvres. Il se plaisait à secourir ceux
qui étaient dans la détresse et dans le besoin. Ses démarches, la plupart du
temps fructueuses, iront au secours des marins désireux de trouver un
embarquement, au secours de veuves de marin dans l’attente d’une aide ou d’un
avantage quelconque et vers de nombreuses personnes
qui savaient en frappant à sa porte, qu’un résultat
positif serait acquis, tant la générosité et les relations de notre ami étaient
connues et appréciées.
Au plan local, monsieur Evenou était membre
d’honneur de plusieurs Associations ; j’ajouterai sans crainte de me tromper,
qu’il était surtout un membre bienfaiteur.
Président d’Honneur de la Section locale des A. C.
et des anciens Cols Bleus, il fut appelé en 1969, à parrainer la promotion de
l’Ecole Nationale de la Marine Marchande à Paimpol, promotion qui fut
d’ailleurs baptisée « Promotion du Commandant Francis Evenou ». A
cette occasion il rappela aux jeunes élèves la vie des Cap Horniers.
Il y avait chez notre ami, le sens du devoir
civique, et il se faisait une obligation, pendant que sa santé le lui
permettait, d’assister à toutes les cérémonies ayant un caractère officiel et à
cet égard, je dois lui rendre hommage.
Titulaire de nombreuses décorations Françaises et
Etrangères, oh ! combien méritées, c’est à titre militaire qu’il a été fait
Chevalier, puis Officier de la Légion d’Honneur et qu’il reçut la Croix de
Guerre 14-18. Il était aussi Commandant dans l’Ordre National du Mérite, du
Mérite Maritime et titulaire de la Médaille d’Or et de L’Etoile Civique.
Voila brièvement retracée la carrière et de l’homme
bienfaiteur pour laquelle la population de Plouha et des alentours avait un
profond respect. Cette nombreuse assistance venue l’accompagner aujourd’hui, en
est le témoignage. Tous présents ici, nous le regrettons à plus d’un titre. Il
fut l’homme à la hauteur de toutes les tâches, fussent-elles familiales,
professionnelles ou sociales. Son souvenir est de ceux qui demeureront.
Notes recueillies dans l’Echo de l’Armor et de l’Argoat (Guingamp) journal du 3 octobre 1981.
J’ai passé 7 fois le cap Horn à la voile, dit-il.
Les Caps Horniers, ceux qui affrontaient les mers du Sud au début de ce siècle
sur des voiliers qui faisaient la fierté des équipages, ne sont malheureusement
plus nombreux. Ils aimaient par-dessus tout leur capitaine, leur bateau et
surtout la Mer.
Le Commandant Francis Evenou, âgé aujourd’hui de 89
ans, et résidant à Plouha, est l’un de ces anciens loups de mer qui ont eu le
privilège de passer à la voile le cap Horn. Pour sa part, il l’a franchi 7 fois
dont une dans des conditions touchant le féerique, le voilier étant entouré
d’icebergs de plus de 120 mètres de hauteur.
Le commandant Evenou raconte cette glorieuse épopée
! Un fameux homme !
Le commandant Evenou, avant de narrer sa longue
carrière d’officier, a tenu à rappeler qu’il a été choisi pour parrainer la
promotion 1968-1969 à l’école d’hydrographie de Paimpol « ce choix m’a
beaucoup touché, explique- t-il. J’étais loin de penser qu’un jour j’aurais été
choisi pour parrainer une telle promotion. D’ordinaire, pour ce genre de
cérémonie, l’on faisait appel à d’illustres morts ».
Originaire de Pléguien, le commandant Evenou voulait
être professeur de mathématiques. C’est d’ailleurs dans cette intention qu’il
alla à l’école primaire du Vally à Guingamp. Il en sortit à l’âge de 15 ans
avec son brevet en 1907.
Tout se présentait bien à priori. J’allais préparer
l’école normale. Illusion, car élevé dans une famille de 10 enfants, pour
raison familiale, il fallut très tôt gagner sa vie et celle de ses frères et
sœurs. C’est ainsi que j’entrais dans la Marine, comme mousse à l’âge de 15
ans.
J’embarquais pour la première fois sur l’ANTONIN,
l’un des plus grands voiliers du monde de l’époque. Ce navire appartenait à la
Maison Bordes. La grande aventure débutait pour le jeune gamin que j’étais et
qui n’était pas allé plus loin que St Brieuc.
Le premier grand voyage lui donna l’occasion de se
diriger vers le cap Horn. Périple inoubliable. Le jeune homme fait connaissance
avec la vie d’hommes durs, côtoyant tous les jours le danger.
Un petit silence et le commandant précise : Je tiens
cependant à faire une petite mise au point. On raconte que ces vieux Caps
Horniers étaient de véritables brutes et qu’il avaient pour seule religion
alcool et violence. En ce qui me concerne, je tiens à dire que n’ai jamais été
frappé par qui que soit. Je me suis fait rabrouer plus souvent qu’à mon tour
quand j’étais mousse. C’était dans les mœurs de ces temps difficiles. Ces
hommes, plus naïfs que méchants, avaient aussi du cœur. Je m’en suis aperçu une
fois avant d’embarquer à Dunkerque quand un homme à mine patibulaire me prit en
charge et me conseilla sur mes achats.
Les Caps Horniers avaient, et c’était la tradition,
une certaine somme d’argent payée à l’avance. En contre partie, ils avaient en
charge leurs vêtements ainsi que les objets nécessaires, allant de la cuiller à
la simple couverture.
En mer, dès les tout premiers milles, l’équipage
savait si le capitaine était ou non un fameux homme. Il respectait ses hommes
et ses hommes le respectaient. Mieux, l’équipage était fier de son bateau.
J’ai navigué sur l’ANTONIN comme mousse puis comme
novice et enfin comme matelot léger. Tout un programme. Je me souviens qu’un
soir il y a eu une vive émotion à bord. Nous nous approchions du cap Horn quand
soudain je fus entouré par de gigantesques icebergs d’une hauteur d’environ 125
mètres, c’est dire le danger qui nous menaçait, d’autant qu’il y avait une
brume à découper au couteau. Dans cette banquise et ce froid, le capitaine
m’appela et me dit : monte vite la haut p’tit gars. Tu ne verras peut être pas
2 fois cela dans ta vie. Il avait eu raison ce vieux capitaine. Je n’ai jamais
vu par la suite, un spectacle pareil. La grandeur de la banquise et sa beauté
nous faisaient oublier le danger que nous courrions. Quand nous retournâmes à
la réalité, le capitaine fit son rapport et me convoqua, car il avait appris
que j’avais passé avec succès mon brevet. Ce fut le mousse qui corrigea les
fautes d’orthographe du capitaine. Il y eut un litige cependant sur l’accord
d’un participe passé..
Des journées de 12 heures ou plus.
En ce début du siècle, les Cap Horniers s’en
allaient pour une durée moyenne de 9 à 10 mois. Naviguant totalement à la
voile, ils connaissaient bien la mer et ses caprices.
Un bon marin aimait son capitaine, son bateau. Il
aimait encore une chose par-dessus tout : la mer. La mer nous réservait à
chaque traversée, de redoutables surprises. Tantôt elle se déchaînait, tantôt
elle devenait calme et merveilleuse. Le vrai marin l’aimait telle qu’elle
était, fut ce au prix de sa propre vie.
D’ailleurs, je vais vous raconter une histoire
survenue à l’un de ces vieux loups :
Ce soir là, l’océan était déchaîné et une lame plus puissante que les autres passa par-dessus le pont, envoyant avec elle un brave matelot du nom de Le Bozec. Les autres hommes de bordée eurent juste le temps de lui jeter une bouée. Malheureusement, l’homme disparut. Des volontaires mirent une barque à l’eau et avec leur lieutenant entreprirent dans des conditions indescriptibles les recherches. Au bout de 2 heures, on allait cesser les recherches, quand soudain quelqu’un crut entendre une voix. Immédiatement, le lieutenant lança dans la brume cet appel: C’est vous Le Bozec ? Et ce dernier qui depuis un temps qui lui semblait probablement une éternité pour avoir lutté de toutes ses forces pour échapper à la noyade, répondit : Oui, c’est moi... Pourquoi ?
Cette anecdote qui n’est pas le fruit de
l’imagination résume à elle seule cette époque de la navigation à voile.
Les équipages étaient formés à la dure sur le tas.
Ces hommes, jamais sûrs du lendemain enduraient beaucoup de souffrances
physiques. Ils étaient fiers d’être des Cap Horniers. Ils travaillaient plus de
12 heures par jour, car à ce moment il n’y avait que 2 bordées.
Le commandant Evenou avoue néanmoins : Nous
naviguons dans des conditions rappelant probablement le Moyen-Âge... Nous
partions sans savoir si nous aurions la chance de revoir nos familles. Quand
nous revenions, nous ne savions même plus marcher, surtout s’il y avait eu du
mauvais temps, les jours précédant notre retour.
Ces hommes n’avaient pourtant qu’une idée en tête :
vivre sur la mer.
Avec nostalgie, le commandant Evenou nous l’a
confirmé.
J’ai fait les 2 guerres comme officier de la marine
nationale. Le commandant que je suis s’efface devant l’ancien Cap Hornier que
je fus. D’ailleurs, sur mes cartes de visites,, je suis pour tous ceux qui
m’ont connu, le Capitaine. Une époque révolue. J’ai connu l’évolution complète
de la marine : la voile, ensuite la vapeur et le charbon, enfin le mazout. Le
progrès a tout modifié. Toutefois, il y a une chose que l’on ne pourra jamais
remplacer : l’homme.
L’électronique, certes, nous a fait progresser sur
le plan technique. Saura-t-elle un jour comprendre, aimer les caprices de la
mer ? J’en doute fort !
Les souvenirs, bons ou mauvais, ne manquent pas chez
le commandant Evenou, on regrette même un peu qu’il ne les ait pas écrits. Il
s’en est justifié: A quoi bon ? La mode est en effet au livre, et bien souvent
aux mémoires. J’ai suffisamment de souvenirs pour remplir quelques feuilles, croyez-moi.
Je n’en ai jamais éprouvé le besoin. Et puis c’est le passé. Naturellement, je
vis avec mes souvenirs. Je préfère les rappeler que de les écrire. C’est plus
plaisant, plus vivant allais-je dire !
Officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre
National du Mérite et titulaire d’une quinzaine de décorations (dont certaines
pour divers actes de bravoure), l’ancien Cap Hornier n’en demeure pas moins un
homme simple. Cela ne l’a pas empêché de participer à des émissions de
télévision dont « les grandes aventures de la mer » animées par
Pierre Bellemare.
En guise de conclusion, il nous a confié : Je suis
probablement le plus ancien Cap Hornier de la région et de surcroît, l’un des
derniers témoins d’une merveilleuse époque. De le savoir, cela m’honore et
c’est en définitive, ce qui me fait le plus grand plaisir.
Propos recueillis par A. Le Nedelec.